La lumière.
On aurait pu croire que cette dernière réussirait à fait fuir les étendues sombres de l’âme. Tant de petits éclats répétitifs s’abattant sur une seule personne, un seul corps : c’était encourageant. On pouvait se dire que cette personne que la lumière assaillait régulièrement était importante, plus que son homologue lambda qui se baladait tranquillement dans la rue sans se soucier de la lueur du jour ou de l’obscurité de la nuit. Mais qu’en était-il réellement ? Qu’est-ce qui se cachait derrière ce sourire factice ? Ces lèvres pulpeuses, ce regard cyan emplit de mystères, cette peau si claire qui contrastait avec la cascade de cheveux d’ébène qui entouraient ce visage angélique… Tout cela n’appartenait qu’à une seule personne qui répondait au doux nom d’Alexandra Moore. Ou du moins, c’était ce que cette personne qui posait devant les objectifs essayait de faire croire au monde entier. En effet, la personne qui répondait à ce nom n’était plus de ce monde depuis un bon nombre d’années maintenant. Cette personne que vous pouvez croiser dans la rue n’est autre qu’Alexander, le frère jumeau de la défunte personne pour qui il se fait passer.
Leur ressemblance physique était frappante dans leur enfance. On les confondait souvent quand la jeune fille portait une casquette. Depuis la mort de sa sœur, le jeune homme se sentait responsable envers elle. Certes il se sentait coupable de sa mort lorsqu’il eut apprit qu’elle éprouvait des sentiments pour lui alors qu’il ne s’en était jamais aperçu… Mais le pire restait qu’il ne ressentait rien, qu’il n’aimait personne. De la graine de délinquant. « Un cœur de pierre », selon les propres mots de sa jumelle la veille de sa mort. Son décès à fait prendre conscience à Alex qu’il devait prendre sa vie en mains et arrêter de se battre contre le monde entier sans raison. Aussi prit-il la décision d’usurper l’identité de sa sœur afin de réaliser ses rêves, et comprendre par la même occasion les émotions humaines qui lui étaient inconnues.
Malgré sa petite taille et son manque de formes, personne ne sait que la jeune fille est en réalité un jeune homme. De toute manière il possède bien plus d’ennemis que d’amis. Ce n’est pas toujours facile de tenter d’imiter une fille quand on n’en est pas une, pas vrai ? Il jongle donc entre ses deux identités, ses « deux sexes » tant bien que mal. Pour conforter les autres dans son identité féminine, il a réussi à se faire embaucher en tant que mannequin. Il est d’ailleurs plutôt populaire, même si son manque de poitrine ne l’aide pas toujours dans son travail et l’empêche même parfois d’obtenir des séances photos.
En cette fin d’après-midi ensoleillée, Alex avait dû sécher les cours, une fois de plus, pour se rendre à une séance en studio. Cette fois, il avait fait des clichés pour une marque de cosmétiques, plus précisément un nouvel eye-liner, soi-disant révolutionnaire ! Enfin, le jeune homme n’était pas dupe. Il savait bien que s’il avait été retenu pour faire ces clichés, ce n’était pas pour ses qualités professionnelles, mais uniquement pour ses yeux. De grands yeux d’une couleur outremer, juste entre le bleu et le vert, hérités de son paternel, qui n’étaient que plus embellis par la peau de lait si claire que lui avaient légué ses origines nippones. Il était en quelque sorte le mélange harmonieux entre une mère Japonaise et un père Anglophone. Les clichés étaient donc particulièrement orientés sur son visage, laissant tout juste voir son cou et le haut de ses frêles épaules afin de souligner sa chevelure d’encre. Les flashs répétés de l’appareil, concentrés sur ses yeux rendaient au jeune homme un aperçu de ce que pouvaient ressentir les aveugles : l’éclat blanc de la lumière qui faisait place à une multitude de points noirs dans sa vision.
Tous les préparatifs au photo-shooting lui avaient bien prit deux bonnes heures de son temps. Blasé par la multitude d’ordres qu’il avait reçu durant ses heures de travail, le jeune homme n’aspirait maintenant qu’à une seule chose : prendre un bon bol d’air frais pour s’aérer l’esprit. Quoi de mieux pour cela que d’aller au parc ? Humer la bonne odeur de l’herbe fraichement coupée, des feuilles d’arbre s’asséchant lentement, des fleurs qui voulaient bien offrir leur douce fragrance… Qu’y avait-il de mieux pour se reposer ? Dès qu’il fut sorti de son travail, il envoya immédiatement un message à son meilleur ami, lui donnant rendez-vous aux balançoires du parc à 19h. D’ici là, la jeune fille pour qui il se faisait passé fit un rapide passage à la supérette pour acheter des sodas et des gourmandises. Manger et boire un bout faisait toujours du bien après un stage photo. Certes, avec sa permanente et son maquillage qui contrastaient grandement avec sa tenue de ville, le jeune homme efféminé ne passait pas inaperçu. Cependant dieu seul savait à quel point le regard des autres l’importait peu !
Il se rendit donc au lieu de rencontre qu’il avait fixé à son meilleur ami, persuadé que ce dernier viendrait sans se faire prier. De toute façon, Alex ne lui avait pas vraiment laissé le choix, comme à son habitude. S’il ne venait pas, ça risquait de faire des vagues dans leur relation… Il n’était pas conseillé à qui que ce soit de mettre en colère « Miss » Moore. Plus colérique ? Il n’y a pas. Sur ce point là, c’est une véritable fille. Le jeune homme s’assit donc sur une des balançoires de l’aire de jeux à l’heure du rendez-vous. A cette heure, le lieu était désert ou presque. Et ce n’était pas un ou deux gamins qui se risqueraient à approcher une adolescente, surtout vu comment elle trépignait d’impatience de revoir son ami. Sans doute le seul avec qui elle voulait passer autant de temps. Si l’on devait décrire la tenue vestimentaire de la pseudo-demoiselle, on vous dirait : minishort noir en-dessous d’une tunique rayée de noir et blanc au-dessus de laquelle elle avait mit une veste en cuir noir. Côté chaussures, il ne portait que des converses blanches et de longues chaussettes noires lui arrivant juste au-dessus des genoux.
Ce ne fut que dans un ultime soupire d’impatience qu’il aperçu la silhouette de son ami s’approcher de sa personne, s’éloignant significativement des ténèbres qui commençaient à ronger les parcelles du parc pour s’approcher du réverbère sous lequel se tenait la demoiselle masculine. Un large sourire d’entrain s’élargit sur les lèvres d’Alex avant qu’il ne fasse de grands signes des bras à son ami en l’appelant :
« Ardy-chou ! Par ici ! Hurry up ! »
Son sac plastique emplit de friandises sous le bras, le jeune homme déguisé en femme accouru presque vers son ami avant de se jeter à son cou, l’enserrant contre sa personne. C’était un besoin chez lui de câliner son homologue. Comme si cela lui redonnerait de l’énergie. Le cœur battant de joie, il plongea son regard dans celui d’Ardance avant de lui demander :
« Comment ça va ? Dis, je t’ai manqué ? »
Puis il éclata de rire tout seul. C’était une question qu’il lui posait souvent. Une sorte de besoin de l’entendre de sa bouche. C’était bizarre. Comme lui-même d’ailleurs. Ca ne faisait qu’une particularité de plus dans les bizarreries d’Alex.